Naplouse, Montagne de Feu
Michel Nuridsany
Publié en 1997 pour L'Institut du Monde Arabe
«Un cœur qui bat! qui bat! qui bat!»
L’enfance du souvenir, l’enfance formatrice, l’enfance des verts paradis, j’en ai parlé avec Nasser Soumi assez naturellement lorsqu’ il s’est agi de descendre le plus loin possible dans les tenants et les aboutissants de l’œuvre exposée.
Je ne prétends pas dresser une biographie minimum un peu sèche d’un artiste palestinien exemplaire. Nous savons depuis toujours, mais depuis Malraux précisément, que la biographie de l’artiste c’est la biographie de son œuvre.
On faisait venir quelqu’un qui connaissait les dosages. On mettait de l’huile dans un container et on le faisait chauffer avec un peu de soude. Après on installait sur le sol des tasseaux de bois et on coulait la pâte qui épaississait. Alors on la coupait en cubes. C’était, un peu, une cérémonie. Elle a profondément marqué Nasser Soumi. Ainsi, lorsqu’ en 1993 il est revenu en Palestine, il n’a pas manqué d’aller visiter Naplouse où l’on produit un savon réputé dans tout le Proche et le Moyen-Orient. C’est là que l’idée de l’utiliser pour une œuvre a germé…
Depuis longtemps Nasser Soumi travaille en relation avec le lieu. Je me souviens de ses premiers travaux à base de bois rejeté par la mer, de galets ramassés sur la plage, enveloppés d’un maillage serré de ficelles, d’écorces d’orange déployées sur des planches de bois peintes, et surtout de l’indigo qui donnait une belle intensité lumineuse et profonde à tout cela.
Alors ce travail , en quoi consiste-t-il? Très simplement, il s’agit d’installer un plan incliné avec, en son centre, un cube évidé d’assez grande dimension qui le traverse. Le visiteur qui, dans la position normale, ne voit que l’extérieur du cube, est invité à monter sur le plan incliné, à regarder à l’intérieur. À l’intérieur sont des savons que l’artiste a creusés, où il a mis de l’huile d’olive, une mèche qu’il a allumée. En se penchant le visiteur découvre cette lumière, cette «âme des choses» comme dit Nasser Soumi et l’odeur de l’huile et du savon.
La vérité sort du puits, dit-on. Verrons-nous dans cette œuvre une allégorie ? L’œuvre d’art, toujours, va au-delà du sens trop univoque de cette figure de style; mais on peut y voir une image proche de celle des Visiteurs du Soir avec ce couple d’amants statufiés mais toujours vivants et qui défient, au-delà de la mort, le diable furieux, impuissant, qui les flagelle en criant: «Ce cœur qui bat! Qui bat! Qui bat!».
Tout le public français avait compris que l’occupant allemand était visé et ne pouvait pas empêcher l’âme du peuple français de battre malgré tout. La petite flamme de Nasser Soumi, «ce cœur qui bat! Qui bat! Qui bat!».